mardi 22 novembre 2011

Des propositions pour favoriser l'innovation en France

Le Conseil National des Ingénieurs et Scientifiques de France vient de publier un livre blanc "Pour une France ambitieuse, pleinement confiante dans ses ressources et ses talents" à l'intention de la classe politique française ainsi qu’aux principaux décideurs de notre pays. Ce livre blanc se propose d'apporter des éléments de réponses aux questions suivantes : Comment réindustrialiser la France, réhabiliter l’entreprise et encourager l’innovation ? Comment faire de l’enseignement supérieur une véritable préparation aux métiers ? Quelle stratégie énergétique adopter dans le cadre d’un développement responsable et d’une maîtrise de la sécurité ? Comment restaurer l’image de la science et de la technologie, et rendre attractives les activités qui y sont liées ?

Je vous livre ici dans son intégralité le chapitre qui traite de l'innovation

Recherche, innovation et invention : clés de notre compétitivité à venir


Faire face à la concurrence mondiale par un renouvellement continu de notre offre

Revenir à l'équation de la compétitivité
Dans un monde concurrentiel d'échanges globalisés, un pays ne peut maintenir sur la durée un différentiel de compétitivité à son avantage qu’en jouant sur les facteurs suivants :
- le coût unitaire de sa force de travail, - une productivité supérieure, soit intrinsèquement, soit par des effets d'échelle, - la qualité de ses services et son aptitude à répondre aux attentes du client, - une capacité à proposer sans relâche de nouveaux produits, plus performants, plus fiables ou totalement novateurs, et bien acceptés par le marché.
Faute d’une rente particulière de situation, et dans l'incapacité de pouvoir beaucoup jouer sur le coût de ses productions, la France ne peut rester en course qu'en s'appuyant sur les deux derniers facteurs, qui lui imposent de démontrer une capacité d'innovation supérieure et une approche dynamique de la relation avec les clients et le marché.

Stimuler les processus d'innovation : un effort en soi
L'innovation n’est pas la conséquence d'un apport de connaissances nouvelles. Ce découplage d’une relation “mécanique” est largement confirmé par l'histoire des inventions (téléphone, bulldozer, machine à vapeur, post-it, internet...). Il ne doit pas conduire pour autant à sous-estimer l'importance d’entretenir un terreau de technologies génériques par un effort de recherche approprié.
Contrairement au lieu commun qui focalise l'attention sur l'apport d'idées originales, on admet aujourd'hui que le processus d'innovation ne se confond pas avec la créativité en soi. Au-delà des bonnes idées, le point critique est de parvenir à en tirer le meilleur profit, en surmontant les obstacles internes pour déboucher sur des réalisations bien acceptées par les utilisateurs finaux.
L’innovation ne peut être dissociée de la performance industrielle et commerciale : c’est en étant confrontée quotidiennement aux exigences de ses clients et aux problèmes posés lors de la production que l’entreprise sera totalement impliquée dans une démarche d’innovation. Dans “Great Again : Revitalizing America's Entrepreneurial Leadership”, les auteurs pointent les méfaits résultant de la délocalisation de la production industrielle, qui induit à moyen terme l’affaiblissement de la capacité d’innover. Il est donc essentiel qu’en France l’innovation soit encouragée non seulement selon un mode “techno push”, mais aussi sous la forme d’une ardente implication des PME, y compris dans des secteurs d’activité perçus comme peu technologiques.
Sur ces terrains, les ingénieurs et chercheurs peuvent exprimer leurs vues et contribuer à l'émergence d'une “culture d'innovation”, permettant à un groupe :
- de surmonter les réticences spontanées développées en interne vis à vis de toute nouveauté, perçue comme radicale et perturbatrice en puissance,
- de mobiliser dans une approche collaborative les regards et compétences croisés d'équipes de profils variés dans leur connaissance de l'environnement et leur bonne appréciation de ses attentes.

N’oubliez pas l'inventeur !
L'accent mis sur la dimension collective de l'innovation, ne doit pas faire négliger l'apport particulier de l'inventeur, capable de cristalliser concrètement une intuition personnelle, à un niveau suffisant pour qu'elle soit brevetable.
Le processus de l'invention est particulièrement précieux, car il s’appuie sur une motivation individuelle profonde, apte à bousculer les oppositions et à imposer une vraie nouveauté, débouchant sur des innovations protégées des risques de copies malhonnêtes.
Avec une interaction à double sens à encourager entre orientations des recherches et des problématiques d'innovation (évoquée plus loin).
L'inventeur mérite d'autant plus l'attention que l'énergie qu'il met en œuvre pour élaborer sa trouvaille est souvent plus en rapport avec une attente de considération qu'avec la recherche d'un gain matériel.
Si de nombreuses innovations ne sont pas brevetables, il est capital de bien comprendre l'importance prise par le management des brevets, que ce soit d'une manière offensive pour se protéger de concurrents mal intentionnés, ou défensive pour garder le contrôle d'un champ d'application.

Faire partager à tous les acteurs concernés un ensemble de valeurs et de démarches favorables au développement de l'innovation

Les fondements d'une culture d'innovation
L'enjeu étant de créer une “culture d'innovation”, toute une série d'orientations sont à encourager :
- une réelle compréhension et un respect des réalités du marché, où la seule vérité qui s'impose en dernier ressort est celle du client,
- une capacité à accepter des ruptures dans la manière de voir les choses et à assumer leurs conséquences (remise en cause de l'existant, mobilité...), en acceptant une certaine prise de risque,
- un traitement en parallèle de l'innovation elle-même, de ses conditions d’insertion dans un “business model”, et de l’identification des partenariats financiers de soutien.

Des actions concrètes à encourager
Tous les pays sont aujourd'hui très attentifs à ces problèmes, et des indications précieuses peuvent être tirées de leurs “bonnes pratiques”, qui suggèrent une série d'actions à encourager :
- la constitution systématique d'équipes mixtes avec un métissage des cultures et des paradigmes,
- le développement d'un repérage systématique, sur une base mondiale, de tous les savoir-faire utiles accessibles (veille technologique et compétitive),
- la conclusion de partenariats entre entreprises, entre entreprises et centres publics de recherche ou institutions d'enseignement et de recherche,
- un centrage sur le cœur d’activité, amenant l'acceptation d'externaliser certaines fonctions,
- une approche globale de la relation de l'objet ou du service avec son futur utilisateur, très au delà d'un cahier des charges techniques,
- un grand respect de l'usager se traduisant par une grande qualité d'écoute,
- une appropriation du mode de protection de la propriété intellectuelle.
Ces exigences relèvent de pratiques et d'un goût pour la conduite du changement, qui doit être encouragée dès le départ et tout au long du cursus éducatif, jusqu'à devenir un acquis.

Créer un environnement favorable : travaux de recherche, profils de docteurs

Construire une interface de qualité entre innovation et recherche
Si de nombreuses innovations portent sur la conception originale ou l’usage de nouveaux produits reconnus comme utiles sans grande avancée technique, d'autres tirent profit des percées scientifiques, comme on le constate en biologie, dans les nanotechnologies ou les technologies de l'information, où les innovations ont un fort contenu scientifique.
C'est une raison supplémentaire pour que se maintienne dans notre pays une recherche fondamentale de qualité, qui en premier lieu garantisse une bonne appréhension de toutes les avancées mondiales, mais plus encore représente un ticket d’entrée pour les réseaux d'excellence, et la capacité à saisir à tout moment les évolutions significatives en cours.
Ce constat pose immédiatement la question critique du couplage à assurer entre les pistes jugées prometteuses par les chercheurs et la réalité des problèmes à résoudre.
Comme il n'y a pas de certitude a priori sur les bons choix, le mieux est de veiller à assurer les conditions d'un dialogue régulier, où les chercheurs seront confrontés aux préoccupations des praticiens et encouragés à développer une recherche partenariale. Ce principe d'écoute réciproque et de concertation est déjà au coeur du fonctionnement des pôles de compétitivité, qui cherchent à faire émerger en continu des projets coopératifs. Quel que soit le souci du monde de la recherche de préserver le choix de ses sujets de toute contrainte extérieure, il est vital d’échapper à une situation d'efforts amont totalement déconnectés des réalités applicatives en aval.

Les bonnes attitudes se construisent pendant la formation initiale
Les attitudes utiles à une culture d'innovation, comme l'entraînement à une pratique professionnelle de la recherche, s’élaborent au niveau des formations initiales. C’est vrai pour la conscience des ressources potentielles de la science, les efforts tendant à la production de connaissances nouvelles, l'émergence au sein d'un groupe projet d'une approche réellement originale, la première sensibilisation aux questions de propriété industrielle.
Mais les choses sont moins évidentes en ce qui concerne la reconnaissance de l'importance du client, la mobilité nécessaire entre champs de spécialité ou le couplage à établir entre le développement fondamental et le montage d'une “affaire” viable. La bonne sensibilité des jeunes américains aux réalités du marché est sans doute en rapport avec leur expérience des petits jobs d'été, qui leur donnent en grandeur réelle une idée de ce qu'est un client exigeant...
Un dernier aspect essentiel est l'attention à apporter aux formations doctorales, qui offrent une opportunité unique de saisir la réalité du processus d’élaboration des connaissances nouvelles, et des compétences uniques qu'elles développent: point des connaissances à un moment donné, mise en place de protocoles expérimentaux, défense des résultats obtenus devant une communauté scientifique...

Une attention particulière à porter aux technologies de l'information

Chaque domaine scientifique ou technique mérite l'attention
L'aventure technologique qui caractérise notre époque se déploie à des degrés divers dans tous les champs techniques et scientifiques, et il est donc hors de question de négliger l'un ou l’autre d'entre eux :
- la nécessité admise aujourd'hui de limiter l'empreinte carbone oblige à revoir toutes les formes de production énergétique, des plus classiques aux plus récentes (éolien, photovoltaïque...), et à travailler de manière volontariste à l'amélioration des rendements énergétiques et de toutes les récupérations actives de chaleur,
- l'obligation de renouveler nos approvisionnements en ressources minérales ou énergétiques, va conduire à investir fortement dans les prochaines années, dans les techniques d'exploration minière et d'exploitation,
- de nombreux champs de recherche s'ouvrent à la chimie, pour se rapprocher des biosciences ou pour mieux prendre en compte la protection de l'environnement,
- tout reste à faire dans le domaine des biotechnologies, des technologies de la santé, de la conception des matériels de transports (véhicules terrestres, avions)...,
- une attention particulière doit néanmoins être portée aux technologies de l'information, qui sont à l'origine de l'émergence spectaculaire de nouvelles activités et de nouveaux acteurs (économie numérique). En raison aussi des conséquences profondes qu'elles ont sur l'utilisation de tous les autres savoirs, sur notre mode de vie, voire sur notre organisation sociale.

Importance particulière des technologies de l'information
Les industries STIC et leurs marchés représenteront en 2015 à l'échelon mondial plus de 2500 milliards d'Euros, avec une part croissante des services informatiques, télécoms et internet qui mobilisera alors plus de 60% des investissements et dépenses TIC, soit un quasi-triplement depuis 1980.
Il faut de même être conscient du rôle considérable joué dans l'écosystème français par les technologies numériques, qui représentent le premier recruteur d'ingénieurs et cadres pour l'activité Services.
Les technologies de l'information sont aussi un champ privilégié d'action pour l'expression des capacités inventives des scientifiques et des ingénieurs dans les années qui viennent, avant que le relais ne soit pris progressivement par les biotechnologies.
Ce regard privilégié sur les technologies numériques, traduit la place qu'elles ont acquise :
- pour un accès de plus en plus évolué à la connaissance et à son partage grâce au travail de traitement et de stockage en amont : recherche documentaire, bases de données coopératives, data mining, systèmes experts...,
- pour l'élaboration de simulations dynamiques des réalités les plus complexes, qu'il s'agisse de l'évolution du temps à moyen terme, du comportement d'un prototype d'avion ou d'une projection économique,
- pour des capacités nouvelles de mise en relation, donnant un élan nouveau aux approches coopératives, avec la constitution de réseaux sociaux qui ont déjà pris une place extraordinaire,
- pour l'accès à volonté sans contrainte de temps ou de distance à des ressources éducatives ouvrant la voie aux actions de formation permanente.
On perçoit bien l'intérêt qu'elles peuvent présenter pour enrichir les boîtes à outils de toutes les spécialités techniques et comme champ privilégié d'invention, sans compter tous les efforts à faire pour sécuriser totalement les technologies numériques elles-mêmes et leurs usages.

Cinq propositions
1. Développer une culture de propriété intellectuelle dans les entreprises et chez les acteurs publics avec lesquels elles ont des liens (enseignement supérieur, recherche). Mettre en place dans les entreprises et les organismes publics des pratiques motivantes pour les inventeurs et leur environnement, et prendre en compte celles-ci dans les bilans sociaux et la notation sociale.

2. Faire du développement de l’innovation, capacité à proposer sans relâche de nouveaux produits plus performants, plus fiables ou totalement novateurs, un projet national prioritaire. Fixer clairement comme objectif le soutien et le développement de l’activité industrielle en France (et en Europe) pour les financements publics de la valorisation de la recherche académique, à l’instar du programme SBIR aux Etats-Unis. Revenir à un financement plus important par la Défense de recherches à vocation duale (civile et militaire), et donner aux entreprises un droit de tirage sur la recherche publique. Ouvrir le fond de brevets des grands groupes aux PME-PMI, et promouvoir des coopératives de gestion de la propriété intellectuelle (SATT, sociétés d’accélération des transferts de technologie).

3. Encourager la création d’une instance représentative des PME pour renforcer leur implication dans les programmes de valorisation de la recherche publique, dont elles sont aujourd’hui absentes par manque d’un interlocuteur portant leurs attentes. Mobiliser les PME pour tirer le meilleur profit de l’innovation collaborative, conjointement entre clients, fournisseurs, voire concurrents. Créer un observatoire de l’innovation collaborative (il pourrait être animé par IESF) qui encouragerait les expérimentations et en mesurerait périodiquement les résultats : on assiste en effet à un foisonnement d’initiatives séduisantes intellectuellement, mais dont la pertinence n’est vérifiable qu’après une phase expérimentale.

4. Multiplier les alternances entre universités et écoles d’ingénieurs aboutissant à des doctorats. Encourager le plus grand nombre à consacrer une part de formation et d’activité professionnelle à la recherche, en valorisant celle-ci et en l’intégrant dans des parcours professionnels diversifiés. Assurer les conditions d'un dialogue régulier entre chercheurs et praticiens, encourager le développement d'une recherche partenariale et la mobilité nécessaire entre champs de spécialité. Établir un couplage entre le développement fondamental et le montage d'une “affaire” viable. Mettre l'accent dès les études sur la compréhension du marché et le respect de ses réalités, là où compte la qualité d'écoute et où la seule vérité qui s'impose en dernier ressort est celle du client.

5. Lancer les investissements d’infrastructure indispensables pour les STIC (très haut débit...). Financer des programmes liés à leur usage public (transports, santé, environnement, sécurité civile, justice...). Créer les conditions économiques et légales d'une véritable solidarité entre les acteurs nationaux de cette industrie : grands donneurs d’ordre, consommateurs, opérateurs télécom, SSII, éditeurs de logiciel, fabricants de matériels à haute valeur ajoutée.

L'ensemble du livre banc Pour une France ambitieuse, pleinement confiante dans ses ressources et ses talents est disponible sur http://www.usinenouvelle.com/mediatheque/7/4/7/000145747.pdf


1 commentaire:

  1. Se différencier de ses concurrents par l'innovation est une bonne idée, chaque entreprise à ses secrets & techniques, on peut se dire que se différencier c'est déjà innover, c'est ce que propose le label I-Novia par exemple. http://www.coactis.fr/label-i-novia

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