dimanche 26 août 2012

Suis-je un ange ou un démon ?

Ce n'est certainement pas le genre de question que l'on se pose très fréquemment, sans doute parce que peu d'entre nous se sentent capables de se prononcer pour l'un ou l'autre des extrêmes que nous présente cette interrogation. A quoi bon donc se poser un tel dilemme ? ... Chacun aura plutôt la tentation, voir la faiblesse, de penser qu'il est plus proche d'un ange que d'un démon, et s'empressera de passer à un autre sujet plus digne d'intérêt.  Cette même question prend peut-être plus de sens si elle s'attache à notre milieu professionnel. C'est en tous les cas dans ce cadre que je me la suis personnellement posée. Un fabricant d'armes vit-il tous les jours son métier de manière positive ? Un employé de chez Mac Donnald's s'en veut-il de contribuer à rendre obèse une partie de la population ? Comment se sent un fabricant d'automobiles face aux millions de morts sur la route ? Einstein est-il fier de la bombe atomique ? Un banquier en 2012 porte-t-il sur ses épaules tous les maux économiques de la planète ? ... Et surtout, car c'est ici que je souhaitais en arriver, les marketeurs de tout poil, dont je suis un digne représentant obscure, contribuent-ils de manière positive à l'évolution innovatrice du monde, ou bien doivent-ils être considérés comme des acteurs pervers de la spirale consommatrice infernale dans laquelle l'humanité semble être embarquée depuis plusieurs décennies ? En d'autres termes, un marketeur est-il utile à la société ou lui nuit-il ? Est-il ange ou démon ? ...

Le marketing est en effet parfois accusé de bien des maux et travers qui se justifient sans doute à la fois par une partie de sa définition qui lui demande, en plus d'identifier et satisfaire les besoins des consommateurs, de créer de la valeur pour le client, ainsi que par son bras armé le plus visible : la publicité, souvent décriée et mise au banc des accusés. Le marketing est-il une discipline qui tend à répondre au mieux à des attentes et des besoins de l'être humain, ou bien crée-t-il de toutes pièces et impose-t-il  des produits et des services dont on pourrait très bien se passer ? Est-il générateur de progrès (bien que je me garderai ici de répondre à la question "qu'est-ce que le progrès ?" ...), ou avilie-t-il l'espèce humaine en la droguant d'une substance, la "consommatite", dont elle pourrait bien se passer ? Est-il ange ou démon ? ... Sans entrer dans un débat philosophique qui risquerait fort de me dépasser, je vous propose ici un certain nombre d'éléments afin que chacun puisse se forger sa propre idée vis-à-vis du marketing qui peut facilement basculer du côté de la force obscure si l'on ne prend pas un certain nombre de précautions.

Le marketing et l'innovation
Dans son approche traditionaliste, le marketing se veut à l'écoute des clients. C'est ainsi qu'il base la majorité de ses préconisations sur des études de marchés censées lui fournir les éléments nécessaires à la satisfaction de ces mêmes clients et, éventuellement, de pouvoir combler leurs manques en proposant de nouvelles solutions plus ou moins novatrices. Mais bien souvent, une telle démarche conduit plus à la naissance d'améliorations qu'à de véritables innovations. Mais à l'inverse, ne reproche-t-on pas souvent au marketing qui souhaite sortir de ce schéma par trop classique de vouloir imposer des produits à des consommateurs qui ne les avaient même pas réclamés ? Alors, où doit donc se situer le juste milieu qui permettra au marketing de se défaire de ce dilemme ? Sans doute dans une approche novatrice en la matière qui saura tenir compte de la volonté des consommateurs d'être à la fois plus directement impliqués dans les processus de création, et de ne pas devoir inventer des usages à des produits pour en justifier l'existence ... Personnellement, je relie marketing et innovation en privilégiant les axes suivants :

  1. remplacer les études de marchés (basées sur des questionnaires) par l'observation des consommateurs en situation,
  2. tester les premières versions et prototypes de son offre auprès d'échantillons représentatifs de son marché,
  3. faire achever son produit ou son service par ses clients auxquels on demandera de peaufiner telle ou telle fonction en situation d'usage réel,
  4. faire concevoir son produit entièrement par ses clients en organisant des concours ou en mettant à disposition des outils de création collaborative.
  5. chercher l'innovation tout azimut et non pas seulement dans la technologie. L'innovation peut se cacher dans la commercialisation ou dans la communication.

L'innovation répond aujourd'hui plus à une volonté de renouveler son offre (et cela bien avant que ses produits actuels ne soient obsolètes ...) et de devancer ainsi ses concurrents, qu'à un souci de faire évoluer la société parce qu'elle est que trop souvent conduite en solo par les entreprises qui en font une arme commerciale plus qu'un leitmotive sociétale. Le marketing doit pouvoir remettre l'innovation sur le chemin du progrès.

Le marketing et le temps
Tout le monde s'accorde pour le dire : tout va trop vite, tout fout le camp ... L'une des lois empiriques de Moore ne dit-elle pas que la puissance des ordinateurs double tous les 18 mois ? Et que penser de la règle plus ou moins tacite de l'économie qui préconise des taux de croissance de 3% tous les ans pour considérer qu'un état, une institution, ou une entreprise puisse être en bonne santé ? (d'ailleurs au passage, on peut être interpellé par le fait qu'une croissance de la consommation de 3% par an conduit à doubler cette même consommation au bout de 25 ans ...). Le court terme ne fait pas souvent bon ménage avec le long terme. Surtout en matière de marketing. La crise des subprimes aux Etats-Unis en est la parfaite illustration. Les méfaits des excès d'une nourriture trop riche, souvent encouragée à coût de millions d'efforts publicitaires, en est une autre. On peut aussi relier l'innovation à ce dilemme temporel puisque innover demande souvent du temps, des échecs et des prises de risques incompatibles avec les intérêts  courtermistes des entreprises. Le marketing doit donc aussi intégrer des éléments qui tablent sur le long terme et non pas uniquement sur le court terme pour pouvoir prétendre apporter de réelles avancées globales à la fois aux entreprises qu'il sert et à la société qu'il modèle.

Le marketing et les sentiments
Oui, des chercheurs ont prouvé que les publicités qui jouaient sur les sentiments faisaient plus vendre que celles qui se contentaient de rester sur un plan purement rationnel. Surtout pour les marques déjà ancrées dans l'esprit des consommateurs. La panoplie est extrêmement large : la peur, la colère, la tristesse, la joie, la surprise, le dégoût, la confiance, l'anticipation, l'optimisme, la déception, l'amour, les remords, la soumission, le mépris, le respect, l'agressivité et la culpabilité sont tous les sentiments qui peuvent être mis en oeuvre dans une publicité, une brochure, voir le produit même. La joie (par exemple Coca-Cola), la culpabilité (comme toutes les marques qui véhiculent un message d'appartenance à un groupe) et la peur (telles les campagnes préventives de la sécurité routière ou anti-tabac) s'avèrent être les armes les plus souvent fourbies. Jouer avec les sentiments peut s'avérer dangereux. Chaque individu sera sensible à des stimuli différents, à des degrés différents. Faire rire n'est pas donné à tout le monde. Choquer peut ne pas choquer suffisamment et il convient de bien cibler quelles cibles on souhaite choquer. Pourquoi choquer la planète entière si l'on souhaite s'adresser uniquement à une catégorie de clients bien définie ? Comme dans beaucoup de domaines, il convient de doser avec précision ses effets : pas assez d'émotions passera totalement inaperçu et trop d'émotions fera se détourner les gens qui ne seront pas capables de recevoir le message. Pour moi, le marketing doit garder un juste milieu entre le rationnel (qu'est exactement le produit ?) et l'irrationnel (que peut-il bien véhiculer en marge de ses fonctions propres ?) 

Le marketing et les enfants
Les enfants, et surtout les adolescents, aiment les marques. Ce n'est pas nécessairement une nouveauté, mais cet attachement aux marques c'est encore renforcé ces dernières années. Les entreprises, principalement high-tech, vestimentaires et alimentaires, l'ont bien compris. Le marketing est souvent accusé de moult excès, car on le taxe volontiers d'être à l'origine de cet engouement exagéré en jouant principalement sur la culpabilité des jeunes qui ne sauraient acquérir l'objet synonyme de reconnaissance dans un monde où les "tribus" ont pris une place prépondérante. Alors, l'enfant consomme-t-il parce qu'on l'y contraint, ou bien consomme-t-il parce qu'il en a besoin ? Des sociologues ont montré que l'adolescent se construisait en partie grâce à la consommation, surfant en permanence sur la corde raide du besoin d'appartenance et de celui de l'indépendance. En fonction de la position du curseur entre ces deux besoins quasi physiologiques, chaque adolescent ne réagira pas de la même manière à un stimuli marketing donné. L'adolescent utilisera lui-même le marketing pour convaincre son entourage (ses parents la plupart du temps) du bien fondé de l'achat de tel ou tel bien qui contribuera à ses yeux à l'affirmation de son identité. En matière de communication, je ne peux que recommander aux entreprises qui souhaitent s'adresser aux enfants et plus particulièrement aux adolescents de varier les effets et les techniques. Nos chères têtes blondes vivent dans un monde qui change en permanence et le marketing qu'on leur propose se doit de se plier à cette règle de l'étonnement, de l'amusement, et de la mise en valeur de l'environnement dans lequel nos enfants évoluent. Mais gardons raison et protégeons les autant que faire se peu des excès du marketing en le pratiquant dans le plus grand respect de leur personne : oui au marketing pour les enfants qui permettra de mettre en totale adéquation leurs envies avec les intérêts commerciaux des annonceurs, non au marketing qui réduira les enfants et les adolescents au rang de consommateurs auxquels il faut vendre à tout prix, même des produits qui ne leur seraient pas adaptés.

Le marketing et la personnalisation
Nous sommes à l'ère du marketing one-to-one. Des dizaines d'ouvrages en font l'apologie en tant qu'arme idéale afin de convaincre les clients que vous avez l'offre qui leur convient vraiment. La technologie est aujourd'hui suffisamment avancée (principalement internet avec ses cookies et autres questionnaires, et la géolocalisation) pour pouvoir bien cerner les habitudes et les goûts de chacun de vos clients. Ces derniers sont d'ailleurs très satisfaits de pouvoir bénéficier d'offres qui leur semblent parfaitement adaptées, bien que cette technique soulève plusieurs ambiguïtés et paradoxes. Le respect de la vie privée est sans doute le premier de ces paradoxes et la première limite à la mise en application poussée du marketing personnalisé. Nous sommes tous tiraillés par l'envie d'être reconnus au premier coup d'oeil, au premier clic, à la première commande par nos fournisseurs, et la crainte de trop en dévoiler sur nous-même et de voir le respect de notre vie privée quelque peu malmené ... Et là encore, tous les clients ne sont pas à considérer au même niveau en la matière. Certains seront prêts à beaucoup pour pouvoir bénéficier d'offres adaptées, alors que d'autres préfèreront s'enfermer dans le mutisme le plus total et garder ainsi leur tranquillité en souhaitant ne pas être sollicités par des offres jugées comme intrusives. Nous sommes nombreux à ne pas vouloir trop en dévoiler par crainte de voir les données vendues entre entreprises. Des études ont montré que la personnalisation n'était pas si efficace que cela dans le cas de clients impliqués et disponibles vis-à-vis de l'acte d'achat, alors qu'elle était d'une redoutable efficacité pour les clients les moins impliqués. Je crois que la clé réside en la volonté de construire une relation durable et en toute confiance avec ses clients qu'il conviendra de convaincre du bien fondé de nos questions sur le long terme et de ne pas passer pour opportuniste. En l'occurrence, j'adore la phrase célèbre de Richard Sears, fondateur de l'empire Sears aux Etats-Unis : "l'honnêteté rapporte plus que la malhonnêteté. Je le sais ; j'ai essayé les deux..."

Le marketing et les bonnes-oeuvres
De nombreuses marques lancent des campagnes plus ou moins caritatives en s'associant en particulier avec des associations humanitaires. On a tous en mémoire telle ou telle société renommée qui promet de reverser une somme plus ou moins importante à tel organisme caritatif à l'occasion de chaque produit vendu. Vous êtes-vous posé la question de savoir lequel servait l'autre ? L'entreprise qui met en oeuvre un tel mécanisme apporte-t-elle plus d'argent à l'organisme caritatif que le mécanisme lui-même lui en rapporte ? Nous rejoignons d'ailleurs ici la rubrique du marketing et des sentiments puisqu'il est indéniable que les entreprises qui jouent de cet instrument comptent toucher la corde sensible de leurs clients sur l'air du "si vous voulez faire une bonne action, achetez mes produits, surtout pas ceux de la concurrence qui ne vous permettront pas ainsi de lier l'utile à l'agréable". Mais la vraie question ici est sans aucun doute de savoir qui est considéré comme le généreux donateur : est-ce l'acheteur qui payera un peu plus cher son produit, ou est-ce l'entreprise qui reversera une partie de ses bénéfices ? L'alibi du gagnant-gagnant, si souvent évoqué, n'est en l'occurrence absolument pas recevable, car en matière de don, chacun sait que le donneur doit s'exécuter en total désintéressement. L'exemple du commerce équitable est révélateur des excès du marketing caritatif, dans le sens où l'on arrive très rapidement dans les faits à parler du commerce de l'équitable plus que du commerce équitable ... Mon positionnement sur le sujet est clair : le marketing caritatif ne peut et ne doit exister que si les intentions de l'entreprise qui le met en oeuvre sont des plus pures. Les bénéfices éventuels qu'elle en tirera ne seront que secondaires.


Sans verser dans l'angélisme le plus juvénile, j'espère vous avoir convaincu ici qu'il est possible de pratiquer une forme de marketing la plus efficace possible sans sombrer dans le satanisme le plus démoniaque, tel qu'il est parfois perçu par le consommateur lassé d'être manipulé par des techniques dont certains ont largement abusé. Oui, il est possible d'innover en matière de marketing. Le marketing d'aujourd'hui n'est plus celui d'autrefois, et celui de demain reste encore à inventer. Je suis finalement fier de contribuer à ma manière à son évolution et de faire en sorte qu'il corresponde mieux à nos aspirations citoyennes qui, me semble-t-il, nous amènent petit à petit vers une plus grande considération de notre Entourage avec un grand E.

lundi 20 août 2012

A quels jeux les sponsors des JO jouent-ils donc ?

Les Jeux Olympiques rythment la vie des athlètes de haut niveau tous les 4 ans. Mais ils donnent également le tempo à plusieurs grandes marques qui s'arrachent le droit d'être qualifiées de sponsor olympique officiel, à coups de dizaines de millions de dollars. A Londres, elles étaient 11 à intégrer le grade de "top sponsor" (mise d'entrée minimum de 50 millions de dollars) : Coca-Cola (qui est citée avant toutes les autres, hors règle alphabétique ...), Acer, Atos, Dow, General Electric, Mac Donald's, Omega, Panasonic, Procter&Gamble, Samsung et Visa. 14 autres viennent compléter la liste des sponsors officiels : Adidas, BMW, BP, British Telecom, EDF, British Airways, UPS, Lloyds TSB, Cisco, Adecco, Cadbury, Thomas Cook, Arcelor Mittal, et Deloitte. Tous ces sponsors sont les seuls à pouvoir lier leur nom à celui des JO entre 2008 et 2012 et auront rapporté au CIO la bagatelle de 957 millions de dollars (soit dit en passant bien moins que les seuls droits TV qui auraient rapporté quelques 4 milliards de dollars à ce même CIO !).

Ces marques ont juste gagné le droit d'utiliser le logo des JO, ainsi que celui de dépenser encore plusieurs autres millions de dollars en publicités. Il s'agit en effet à présent de faire savoir au plus grand nombre (on estime que 3,4 milliards de personnes auront regardé au moins un événement des JO de Londres) qu'elles véhiculent les mêmes valeurs que celles portées par l'olympisme. Oui, mais quelles sont ces valeurs ? Comment les marques s'associent-elles aux JO ? Quels choix font-elles au moment de lier leur destinée à celle de cette institution centenaire et mondialement connue et attendue ? Je me suis amusé à décortiquer plusieurs spots publicitaires afin de savoir ce qu'inspirait l'olympisme à ces mastodontes du marketing.

Première catégorie : les hédonistes
Nous classons ici les marques qui affichent en premier leur rôle vis à vis des JO. En gros, sans elles pas de JO ... Un brin prétentieux ... UPS, United Airlines, Powerade, BP et, à un degré moindre (parce que réalisé de manière plus subtile), Omega sont de ces marques qui se donnent de l'importance à l'occasion des Jeux :

Deuxième catégorie : les patriotes
Nous rencontrons ici les marques qui ont décidé de faire la part belle à l'Angleterre ou à Londres dans leurs publicités. Elles ne sont pas très nombreuses ... Adidas, British Airways et Nintendo ont choisi cet axe de communication traité de manières variées :


Troisième catégorie : les esthètes
Elles n'ont pas manqué de remarquer combien un(e) athlète pouvait être beau ou belle. Le côté rêve est ainsi magnifié et la performance humaine mise sur un piédestal. Visa a joué de cette fibre, ainsi que Coca-Cola qui a même poussé ce côté esthétique jusqu'à le lier fortement à la musique :

Quatrième catégorie : les populistes
Les marques qui mettent autant, sinon plus, en avant le public que les athlètes sont celles dont nous parlons ici. Les Jeux existent aussi grâce à chacun d'entre nous, mais aussi les jeux sont un rêve auquel le commun des mortels peut accéder s'il s'entraîne dur ... Nike, Mac Donald's, Telstra, Procter & GambleSamsung, UPS (pour se racheter de son hédonisme ? ...), et Qantas ont décidé d'abattre cette carte qui s'avère finalement la plus utilisée : 


Cinquième catégorie : les story-tellers
Elles ont bien compris la force des petites histoires. Les côtés proximité, chaleur et sympathie y sont valorisés. Visa (qui multiplie donc les stratégies), mais également EDF sont adeptes de cette tactique :

Sixième catégorie : les humoristes
Faire sourire, voir rire, n'est pas donné à tout le monde. Visa se l'est permis (mais il faut dire qu'il avait plusieurs cordes à son arc ...), ainsi que Nintendo (qui fait donc coup double avec la même publicité) :