vendredi 23 septembre 2011

Comment garder un avantage concurrentiel et ne pas être accusé d'être un copieur ?

Protéger et valoriser son innovation ne sont pas des habitudes bien ancrées dans l'esprit des entreprises françaises. D'après l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), la France dépose environ 16 000 demandes de brevets chaque année, alors que l'Allemagne en est à quelques 62 000, le Brésil 22 000, l'Australie 26 000 et les Etats-Unis 456 000 ! (voir rapport http://www.wipo.int/export/sites/www/ipstats/fr/statistics/patents/pdf/941_2010.pdf)
Je ne connais pas les raisons exactes de ce "désamour", mais je ne peux que m'en inquiéter. S'intéresser aux brevets, et bien sûr en déposer, est pourtant crucial pour une entreprise et ce au moins pour 2 raisons :

  1. Protéger ses inventions et innovations
  2. Eviter de passer pour un contrefacteur

Protéger ses innovations
A quoi bon faire tant d'efforts pour se différencier de ses concurrents si cette différenciation n'est qu'éphémère et que ces derniers peuvent rattraper leur retard simplement en s'appropriant vos solutions, et ce à moindres coûts ?
Vos investissements en R&D, en idées, en astuces doivent pouvoir vous procurer un avantage concurrentiel pérenne et le seul moyen de vous protéger consiste à breveter vos innovations. Et beaucoup de choses peuvent se breveter ! D'ailleurs le mot "breveter" n'est pas toujours celui à utiliser, puisqu'au delà des brevets, il existe différents moyens de protéger vos acquis en fonction de leur nature :
  • Inventions --> brevets (20 ans)
  • Savoir-faire --> secret
  • Semi-conducteurs --> topographies (10 ans)
  • Obtentions végétales --> certificats d'OV (20 à 25 ans)
  • Logiciels --> brevets ou droits d'auteur (70 ans après décès)
  • Formes --> dessins et modèles (5 à 25 ans) ou droits d'auteur
  • Désignation de produits ou services --> marques
  • Identification de personnes morales --> dénominations

Ne pas enfreindre la loi en se commettant de contrefaçon
Qui vous dit que votre innovation, sur laquelle vous avez travaillé des années d'ailleurs, pour laquelle vous avez beaucoup investi, n'est pas qu'une fausse innovation ? ... Etes-vous certain qu'un autre n'a pas déjà inventé, et surtout breveté, ce que vous vous apprêtez à commercialiser ? S'intéresser aux brevets consiste donc, et peut-être surtout, à vérifier l'existence ou non d'une invention. C'est ce que l'on appelle la recherche d'antériorité. C'est vital pour une entreprise innovante. Et attention, l'innovation se cache sans doute là où vous ne l'attendez pas ! D'ailleurs, la grande majorité des brevets déposés ne donnent jamais lieu à la création d'un produit commercialisé. Ce qui rend d'autant plus difficile leur identification.


Comment se protéger (avec ses brevets mais aussi de ceux des autres ...)
  1. Mettre en place une veille technologique et faire une recherche d'antériorité des brevets existants
  2. Consigner et décrire avec précision son savoir-faire en le datant (cahier de laboratoire et/ou enveloppes Soleau). Un cahier de laboratoire est un document dans lequel on consigne et date l'avancée de ses recherches. On peut d'ailleurs faire valider les grandes étapes de ce cahier chez un notaire ou simplement dans un commissariat de police. Une enveloppe Soleau est un document scellé, en double exemplaire (l'un à l'INPI, l'autre chez vous) dans lequel vous décrivez votre innovation. Elle permet ainsi de vous autoriser à continuer vos travaux lorsque par exemple il s'avère qu'une autre entreprise dépose un brevet avant vous sur votre sujet, mais que vous pouvez prouver que vous avez vous-même entamé vos travaux avant ce dépôt de brevet concurrent. L'enveloppe Soleau est aussi un moyen très peu couteux (15€) d'initier votre démarche de dépôt de brevet.
  3. Déposer un brevet auprès de l'INPI (Institut National de la Propriété Industrielle)

Des précautions indispensables
Déposer un brevet nécessite un minimum de précautions. Je vous en livre ici quelques unes :
  • On ne peut breveter que la nouveauté ! Cela peut paraître évident, mais il convient réellement d'identifier ce qui est vraiment nouveau et différenciant et de le préserver jusqu'au dépôt de brevet.
  • On ne peut pas breveter un produit déjà commercialisé ! Concrètement, vous ne pourrez plus prétendre pouvoir breveter une innovation si vous l'avez déjà divulguée sur un salon, ou si vous l'avez montrée à un client ou à un fournisseur  avec lequel vous n'avez pas pris le soin de signer un accord de confidentialité. Dans le même ordre d'esprit, il convient donc de sensibiliser l'ensemble de votre personnel à l'extrême confidentialité requise au sujet de telle ou telle innovation en cours de développement. Je trouve personnellement cette mesure extrêmement contraignante et surtout pénalisante vis-à-vis de l'esprit d'innovation, mais elle est réelle et il faut bien faire avec ... 
  • Un concurrent peut faire annuler un brevet s'il arrive à prouver que "l'invention" existait déjà, même si elle n'a jamais été brevetée, et même s'il remonte à l'Antiquité pour exhumer ses pièces à conviction ! En effet, l'INPI, au moment de l'étude de votre demande de brevet n'effectue qu'une recherche d'antériorité au niveau des brevets déjà déposés
  • Un délai de 8 mois minimum est nécessaire entre votre demande et l'enregistrement auprès de l'INPI de votre brevet ! Mais une fois votre demande déposée, vous pouvez commencer à parler au monde entier de votre invention sans attendre son acceptation. Ne vous précipitez donc pas nécessairement pour déposer un brevet, car il vaut mieux qu'il contienne un maximum de vos avancées et que vous ne soyez pas obligé d'en redéposer un autre plus tard avec vos dernières améliorations. Pensez aux enveloppes Soleau ...
  • Attention : une demande de brevet n'aboutit bien entendu pas systématiquement à un enregistrement. D'ailleurs, lorsque l'on effectue soi-même une recherche d'antériorité sur le site de l'INPI, il n'est pas si facile que cela de faire le distinguo entre les demandes de brevets (donc pas encore en vigueur) et les brevets effectivement enregistrés.

Combien ça coûte ?
Le coût d'un brevet dépend principalement de sa complexité (surtout celle de la rédaction de sa description) et de son étendue géographique. Faire rédiger un brevet par un cabinet spécialisé (et c'est quasiment incontournable vu les enjeux et difficultés des termes à utiliser), revient en moyenne à 3 ou 5000 €. Le dépôt à l'INPI est aujourd'hui facturé 268€ pour le France incluant une extension de 18 mois  aux pays de la Communauté Européenne. Par contre, au delà de ces 18 mois, ou pour couvrir d'autres pays, cela peut être extrêmement couteux et atteindre ainsi plusieurs dizaines de milliers d'euros pour quelques pays seulement. Il est intéressant de noter d'ailleurs que quasiment aucun inventeur, même parmi les très grosses entreprises, ne demande une couverture mondiale pour leurs brevets (hormis quelques brevets pharmaceutiques).
Une enveloppe Soleau coûte 15€, un enregistrement de modèle 60€, un dépôt de marque 200€, et le droit d'auteur est gratuit.

Toute entreprise (même individuelle) peut prétendre à un certain nombre d'aides :
  • Pré-diagnostic de l'INPI : un expert étudie gracieusement votre projet d'innovation dans sa globalité et vous remet un rapport préconisant la démarche à suivre pour sécuriser vos efforts en la matière
  • PTR (Prestation Technologique Réseau) en Pays de la Loire : prise en charge du dépôt d'un premier brevet, y compris la recherche d'antériorité associée
  • Oséo
  • CNCPI (Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle)
  • ARIST (Agences Régionales d'Information Stratégique et technologique), dépendant des CCI

Conclusion :
Ses efforts de différenciation peuvent être réduits à néant si l'on ne prend pas le soin de protéger ses innovations contre ses concurrents. Le dépôt de brevets, de marques, ou de droits d'auteur est le moyen de préserver son avance technologique. De même, si vous ne voulez pas vous faire épingler comme contrefacteur par l'un de vos concurrents, prenez soin de surveiller leurs travaux et plus exactement d'établir quelques recherches d'antériorité avant de vous lancer dans des développements qui pourraient être réduits à néant en un instant. 

5 commentaires:

  1. Bonjour,


    Comment faites vous, que conseillez vous de faire pour protéger une idée qui est à la base d'un modéle économique innovant?.

    Merci.

    Marcel CASTEGE

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  2. Je crains qu'il ne soit pas possible de se protéger, au sens légal du terme, à ce sujet. La vraie question qu'il faut sans doute que vous vous posiez est : puis-je commercialiser mon idée ? Mon avis à ce sujet est qu'il faut que vous affichiez l'expertise liée à cette idée dans le but d'attirer l'attention à votre sujet et de vous faire reconnaître en tant que "père" de votre modèle. Peut-être le meilleur moyen de tirer profit de votre idée consiste à écrire un livre ?

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  3. Bonjour ,

    A mon avis , la meilleur façon de protéger une idée , c est de l associer a un savoir faire => secret. il vous reste a protéger le secret.

    Abdelaziz LEHTIHET

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  4. enfin, bon, la politique du secret à tout de même ses limites ; il faut bien sortir du bois un moment ou un autre !

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  5. Bonjour,

    Il n'y a pas forcément de limites à la politique du secret : je développe actuellement un concept web. Il n'est pas possible de protéger l'idée de ce concept (hors enveloppe Soleau, mais les limites sont bien là), mais il est possible de protéger par le secret son fonctionnement (le site fait apparaitre les résultats du fonctionnement, pas algorithme qui est derrière).

    C'est le cas par exemple de l'algorithme du moteur de recherche PageRank de Google : on peut facilement connaitre son fonctionnement général, mais impossible de savoir avec précision l’ensemble des paramètres qu'il prend en compte pour répertorier, classer et promouvoir les sites Web. Je ne crois pas que ceci est couvert par un brevet mais davantage par une politique de confidentialité en interne.

    Un autre exemple : Coca-Cola. La recette de la boisson éponyme est conservée de manière secrété par l'entreprise depuis plus d'un siècle.

    Il faut bien avoir en tête que lorsque vous déposez un brevet, vous l'exposer aux yeux de tous et dans ses moindres détails. Y compris à vos concurrents, qui peuvent alors s'en inspirer ou deviner votre stratégie. L'un des avantages, si le sujet le permet, à ne pas breveter une innovation est d'éviter cette exposition à double tranchant.

    La seule contrainte de la politique de confidentialité/secret est de contrôler que le secret soit bien gardé en interne (clause de confidentialité dans les contrats de travail et dans les statuts de l'entreprise par exemple).

    Cordialement,
    Sébastien Schropff

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