jeudi 24 mai 2012

Les marketeurs sont fainéants

Ce n'est pas moi qui le dis mais Dominique Cuvillier, "captologue", spécialiste en marketing et en décryptage des tendances, dans son livre "Capter les tendances" (Editions Dunod). Pour lui, en effet le marketeur se base trop sur le passé et le présent, utilise trop d'études, trop de méthodes éculées et ne regarde pas assez vers le futur. On sait bien que l'on ne peut pas demander à ses clients leur avis sur ce qu'ils souhaiteraient demain. 1) ils ne le savent pas et 2) si par hasard ils le savaient, ils le diraient bien entendu haut et fort à la planète entière et vous ne bénéficierez plus ainsi d'aucun avantage concurrentiel ... 
Prévoir le futur, penser, imaginer l'offre du futur, est très important pour toute entreprise si elle souhaite s'inscrire dans la durée. Cela parait une évidence mais pourtant, force est de constater que la grande majorité des nouveaux produits qui sont lancés sur les marchés s'avèrent quelques mois plus tard être des échecs. La cause ? Nous, marketeurs, ne savons pas prédire correctement l'avenir. Dominique Cuvillier pense donc que c'est parce que nous sommes fainéants et préférons nous reposer sur nos lauriers (nos acquis du passé). Cette provocation n'est certes pas dénuée de bon sens (qualité que de toutes façons un marketeur se doit de posséder), mais comme toute provocation elle effectue un raccourci qui pourrait occulter la difficulté présentée par cet exercice de visionnaire qui consiste à prévoir l'avenir. 
Alors comment fait-on pour prévoir l'avenir ? On lit entre les lignes. Ou plus précisément, on identifie les signaux qui vont nous permettre cette prédiction. Des signaux qui sont qualifiés de forts lorsqu'il s'agit de véritables tendances (la population mondiale croit), et de faibles lorsqu'il s'agit de signes isolés (les peintures mates noires et argents sont apparues dans l'automobile) mais que l'on imagine pouvoir irriguer d'autres secteurs beaucoup plus vastes.

Des difficultés
Trop d'information tue l'information. Cet adage vieux comme Hérode n'a jamais autant été d'actualité. Une étude récente a montré que l'on peut aujourd'hui trouver dans une seule édition du New York Times plus d'informations qu'un humain ne pouvait en trouver au cours de toute sa vie au XVIIème siècle ...
La première difficulté pour être en mesure de décrypter tendances et signaux faibles réside donc dans la nécessité de choisir ses sources d'information.

Ces sources d'information sont-elles fiables ? On sait pertinemment que l'immense majorité de la presse et des médias en général est partisane. Non seulement partisane, mais aussi menée par un soucis de toucher un nombre de lecteurs ou d'auditeurs le plus grand possible. Par conséquent il ne faut pas se leurrer : nombre des informations relayées par les médias sont biaisées. Ce n'est pas parce que les médias parlent d'un sujet, qu'il est intéressant pour le plus grand nombre ou même qu'il est bien avéré ...
La deuxième difficulté se loge donc dans le manque de fiabilité et d'objectivité de l'information disponible.

L'information est extrêmement volatile. Certains ont d'ailleurs qualifié notre société de "liquide". Tout est éphémère, instable, instantané. Une information remplace une autre information. Une mode remplace une autre mode et traverse la planète en moins de temps qu'il ne faut pour l'observer.
La troisième difficulté est donc liée à l'aspect temporaire, immédiat et extrêmement rapide des signaux à capter. Il convient de les saisir au bon moment.

Une fois les informations captées, il faut les digérer. Se projeter sur leur impact sur ses propres secteurs d'activité. Les peintures mates du secteur automobile vont-elles aussi irriguer d'autres industries, d'autres marchés ? La reconnaissance vocale de l'iPhone 4S pourrait-elle intéresser d'autres applications ?
Nous touchons là la quatrième difficulté du métier de "captologue", et sans doute pas la moindre : être plus ou moins capable d'identifier l'information qui fera de vous le futur Steve Jobs  (qui avait lui, bien capté en son temps la tendance au nomadisme des populations et su y voir une véritable opportunité vis-à-vis des portables en tout genre).

Des moyens
Les difficultés exposées ci-dessus ne sont pas rédhibitoires. Elles sont réelles et contribuent surement à pouvoir taxer les marketeurs de fainéants, car il faut les abattre et les surmonter.

La clé consiste à mettre en place un système de veille, à commencer par la veille concurrentielle. N'oublions pas en effet que le but de cette course à la prédiction est bien, comme dans toute course, d'arriver le premier. Il ne s'agirait pas de se faire doubler par un concurrent plus clairvoyant.  Surveillez donc quels profils techniques vos concurrents embauchent. Comment se fait-il qu'un de vos concurrents recherche un spécialiste en fibres optiques alors que cette technologie n'a encore jamais été utilisée dans votre secteur ? Pourquoi souhaite-t-il recruter un ingénieur en traitement du signal alors que l'électronique ne fait pas partie des produits proposés par votre secteur ? ...

Cette veille ne doit bien entendu pas se cantonner qu'à ses concurrents, puisqu'elle doit aussi se préoccuper de tout le reste ... Et quand on dit tout, c'est tout ! Bien entendu, regarder d'autres secteurs que le sien, mais aussi s'intéresser à des sujets aussi variés que la sociologie, la philosophie, la mode, la musique, l'art, la déco, le sport, le design, la science, etc, etc ... Il convient de s'intéresser aux gens en général, à leur quotidien, et en final à leur sensibilité plus qu'à leurs besoins.
Une étude américaine a démontré en 2011 qu'une idée ou qu'une croyance partagée par seulement 10% de la population deviendra à coup sûr majoritaire. (Je ne sais pas si l'on peut mettre dans ce lot d'idées, les idées politiques ...). Il est donc important de ne pas mépriser les idées, les objets, les modes adoptés à ce jour ne serait-ce que par des minorités.

Il y a signaux faibles et signaux faibles. Il est bien évident par exemple que le changement climatique aura des impacts sur une multitude d'industries, tout comme l'augmentation de la population d'ailleurs. Mais peut-on dire la même chose vis-à-vis d'un signal tel que celui donné par la transformation deci delà de containers en lieux d'habitation ? Et pourtant n'est-ce pas les signaux les plus faibles qui vous permettront de faire la différence ?

Des dizaines de signaux faibles à interpréter
De nombreux sociologues, "captologues", futurologues, journalistes ou autre "races" de prédicateurs nous facilitent la tache. Ils ont déjà identifié un grand nombre de signaux faibles (pour les tendances, je vous renvoie à mes articles l'étude-des-tendances-mondiales-nous-donne-des-pistes-pour-innover & notre-futur-à-travers-5-tendances) dont en voici un florilège :
- l'argent physique est en voie de disparition
- nous recherchons des moyens de déplacement urbains "doux"
- nous souhaitons des aliments qui associent bien-être, plaisir, santé et facilité d'utilisation
- certains rejettent les téléphones portables
- les aéroports vont accroitre leurs capacités
- les livres numériques ont le vent en poupe
- le modèle des supermarchés bat de l'aile (au détriment des achats en ligne)
- la chirurgie réparatrice de l'oeil est de plus en plus performante
- le vintage est à la mode dans beaucoup de secteurs
- De plus en plus de marques, particulièrement dans la mode, utilisent d'autres icônes que les mannequins traditionnel(le)s. Par exemple des femmes rondes ou des handicapés.
- Le noir, le blanc et l'argent sont les couleurs les plus utilisées dans le secteur automobile et on retrouve de plus en plus ces mêmes couleurs dans le textile
- L'économie sociale trouve sa place, comme par exemple depuis la promulgation d'une loi aux USA autorisant une structure à mixer le lucratif et le mon lucratif
- les aspirateurs robots connaissent un boum
- le marché africain est le 2ème marché de la téléphonie mobile au monde (derrière l'Asie)
- plusieurs grandes marques de haute couture ont créé des collections avec des pièces qui d'habitude vont au rebut


Je finirai par une phrase prononcée un jour par Steve Jobs : "Notre rôle n'est pas de donner aux clients ce qu'ils veulent, mais de devancer leurs désirs"


5 commentaires:

  1. You made my day!!!!!!!!
    Tout d'abord, c'est trés agréable de tomber sur des informations concernant son domaine d'intervention, son secteur d'activité, son métier. Quand en plus, on a la chance de tomber sur des personnes généreuses de leur savoir et prêtes à le partager, c'est un bonheur incommensurable.
    Juste un mot: MERCI.
    cdt

    RépondreSupprimer
  2. Dommage que ce message soit anonyme ... J'aurais aimé, à mon tour, pouvoir remercier son auteur

    RépondreSupprimer
  3. Intéressant de bout en bout, merci,
    Florence

    RépondreSupprimer
  4. Article pertinent et très intéressant foi de Thierry!
    Gardons-donc tous nos capteurs en éveil!

    Merci de nous le rappeler Thierry.

    Pour la signature : difficile de sélectionner un profil
    bizarre qu'il n'y ait pas VIADEO ?

    RépondreSupprimer
  5. Mr l'anonyme, je ne comprends pas votre remarque au sujet de la signature. De quoi parlez-vous ?
    Sinon merci pour vos commentaires dithyrambiques ...

    RépondreSupprimer