mercredi 17 octobre 2012

Partager pour sortir de la crise



En cette période d'extrême agitation économique et politique, illustrée par bien des maux et mots plus ou moins compris, décortiqués, aigus ou couverts, je me suis souvenu d'un article écrit en janvier de l'année dernière par l'illustre Michael Porter, professeur de management à Harvard.



Mr Porter pense que le seul moyen de retrouver innovation et croissance passe par le partage. Il a énormément observé des organisations telles nos clusters ou pôles de compétitivité en Europe, et est arrivé à la conclusion que les entreprises, pour pouvoir à la fois retrouver efficacité et considération, devraient s'inscrire dans un modèle où le partage de ressources, mais aussi de revenus, serait la clé de voute de leur organisation.

C'est ainsi que Mr Porter nous parle d'un monde où l'économie deviendrait suffisamment mature pour reconnaître que de s'occuper des aspects sociaux, environnementaux, sociétaux et équitables (ce qu'il appelle le partage) peut aussi être source de profits durables pour les entreprises qui se montreraient alors compatibles avec une forme de dérégulation propice à la création de valeurs pour tous et non plus pour une minorité.

Je vous livre ici une traduction du résumé de son article, publié dans le magazine Harvard Business Review de janvier 2011. Très intéressant ...

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Le système capitaliste est en état de siège. Ces dernières années, le monde des affaires a été considéré comme une cause majeure de problèmes sociaux, environnementaux et économiques. Les entreprises sont largement perçues comme étant prospère au détriment de l'ensemble de la communauté.

Pire encore, plus le business a commencé à entacher la responsabilité des entreprises, plus il a été blâmé pour les échecs de la société. La légitimité de l'entreprise a chuté à des niveaux jamais vus dans l'histoire récente. Cette perte de confiance a conduit les dirigeants politiques à établir des règles qui sapent la compétitivité et la croissance économique. Le monde des affaires est pris dans un cercle vicieux.

Une grande partie du problème réside dans les entreprises elles-mêmes, qui restent prises au piège dans une approche dépassée de création de valeur qui a émergé au cours des dernières décennies. Ces entreprises continuent à voir la création de valeur restrictive, l'optimisation de rendement à court terme dans une bulle financière tout en passant à côté des besoins des clients les plus importants et en ignorant les influences plus larges qui déterminent leur réussite à long terme. Comment les entreprises pourraient-elles agir sur le bien-être de leurs clients, sur l'épuisement des ressources naturelles vitales pour elles, sur la pérennité des fournisseurs clés, ou sur la détresse économique des communautés pour lesquelles elles produisent et vendent ? Comment les entreprises ont-elles pu penser que le simple déplacement de leurs activités vers des lieux où les salaires sont toujours plus bas, était une solution durable vis à vis des problèmes concurrentiels ? Les gouvernements et la société civile ont souvent aggravé le problème en tentant de remédier aux faiblesses sociales des entreprises. Le présumé compromis entre l'efficacité économique et le progrès social a été institutionnalisé dans des décennies de choix politiques.

Les entreprises doivent prendre l'initiative de se réconcilier  avec la société. Les dirigeants ont commencé à le reconnaitre, et des éléments prometteurs d'un nouveau modèle émergent. Pourtant, il nous manque encore un cadre global pour guider ces efforts, et la plupart des entreprises restent coincées dans un état d'esprit de "responsabilité sociale" dans lequel les questions sociétales sont à la périphérie, et non pas au coeur de leurs préoccupations.

La solution réside dans le principe de la valeur partagée, qui implique la création de valeur économique d'une manière qui puisse créer également de la valeur pour la société en s'attaquant à ses besoins et défis. Les succès de l'entreprise doivent ainsi se reconnecter avec le progrès social. Cette valeur partagée n'est pas une forme de responsabilité sociale, de philanthropie, ou même de durabilité, mais une nouvelle façon d'atteindre la réussite économique. Ce n'est pas en marge de ce que les entreprises font, mais au coeur. Nous pensons que cela peut donner lieu à la prochaine transformation majeure de la façon de faire du business.

Qu'est-ce que la «valeur partagée» ?
Un nombre croissant d'entreprises connues pour leur impitoyable approche business -telles que GE, Google, IBM, Intel, Johnson & Johnson, Nestlé, Unilever et Wal-Mart- ont déjà entrepris des efforts importants pour créer de la valeur partagée en repositionnant l'intersection entre la société et la performance des entreprises. Pourtant, notre reconnaissance de la puissance transformatrice de valeur partagée est encore dans ses balbutiements. Nous sommes conscients qu'il faudra que dirigeants et gestionnaires développent de nouvelles compétences et connaissances, comme une appréciation beaucoup plus profonde des besoins de la société, une meilleure compréhension des bases réelles de la productivité, et la capacité de collaborer au-delà des frontières à but purement lucratif. Et le gouvernement doit apprendre à réguler de façon à autoriser la création de cette valeur partagée plutôt que de travailler contre elle.

Le capitalisme est un véhicule sans précédent pour répondre aux besoins de l'homme, en améliorant l'efficacité, la création d'emplois et la création de richesse. Mais une conception étroite du capitalisme a empêché l'entreprise de tirer parti de son plein potentiel pour répondre à des défis plus larges de la société. Les occasions ont été là tout le temps, mais ont été négligés. Les entreprises qui agissent comme des entreprises, et non comme des organismes caritatifs, sont la force la plus puissante pour faire face aux problèmes urgents auxquels nous sommes confrontés. Il est désormais temps de mettre en place une nouvelle conception du capitalisme ; les besoins de la société sont énormes et en croissance, tandis que les clients, les employés, et une nouvelle génération de jeunes demandent que les entreprises décollent.

Le but de la société doit être redéfini comme visant la création de valeur partagée, et non le seul profit individuel. Cela entraînera la prochaine vague d'innovation et de croissance de la productivité dans l'économie mondiale. Il sera également question de remodeler le capitalisme et sa relation avec la société. Et sans doute, le plus important de tout, il convient d'apprendre à créer de la valeur partagée afin de légitimer à nouveau le monde des affaires.


Au-delà des compromis
Les entreprises et la société ont été dressés les unes contre les autres depuis trop longtemps. C'est en partie parce que les économistes ont légitimé l'idée que pour offrir des avantages sociaux, les entreprises doivent tempérer leur réussite économique. Dans la pensée néoclassique, une exigence d'amélioration sociale, telles la sécurité ou l'embauche d'handicapés, impose une contrainte aux entreprises. L'ajout d'une telle contrainte pour une entreprise qui a déjà maximisé ses profits, selon la théorie, va inévitablement augmenter ses coûts et réduire ses bénéfices.

Un concept connexe, menant à la même conclusion, réside dans la notion d'externalités. Les externalités surviennent lorsque les entreprises créent des coûts à la société qu'ils n'ont pas à supporter, comme par exemple la pollution. Ainsi, la société doit imposer des taxes, des réglementations et des sanctions afin que les entreprises «internalisent leurs externalités», croyances qui influencent de nombreuses décisions politiques des gouvernements.

Ce point de vue a aussi façonné les stratégies des entreprises elles-mêmes, qui ont largement exclu les considérations sociales et environnementales de leur pensée économique. Les entreprises ont pris le large contexte dans lequel elles exercent leurs activités en tant que norme donnée et ont résisté à la réglementation comme toujours contraire à leurs intérêts. La résolution des problèmes sociaux a été cédée aux gouvernements et aux ONG. Des programmes de responsabilisation des entreprise, en réaction à la pression extérieure, ont vu le jour en grande partie pour améliorer la réputation des entreprises et sont traités comme une dépense nécessaire. Ceci est considéré par beaucoup comme une utilisation irresponsable de l'argent des actionnaires. Les gouvernements, pour leur part, ont souvent réglementé d'une manière qui rend la notion de valeur partagée plus difficile à réaliser. Implicitement, chaque côté a supposé que l'autre est un obstacle à la poursuite de ses objectifs et a agi en conséquence.

Brouiller la frontière entre bénéfices et but non lucratif
Le concept de valeur partagée, en revanche, reconnaît que les besoins de la société doivent être pris en compte, et pas seulement les besoins économiques classiques tels que définis par les marchés. Il reconnaît également que les dommages sociaux ou les faiblesses créent fréquemment des coûts internes pour les entreprises, tels ceux liés au gaspillage d'énergie ou de matières premières, ou aux accidents coûteux, et requièrent alors la nécessité d'actions correctives pour compenser les insuffisances en matière d'éducation. Et aborder les torts causés et les contraintes liées à la société ne signifie pas nécessairement une augmentation des coûts pour les entreprises, car elles peuvent au passage innover en utilisant de nouvelles technologies, des méthodes de fonctionnement et des méthodes de gestion appropriées et, par conséquent, accroître leur productivité et élargir ainsi leurs marchés.
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