Plusieurs voix s'élèvent ces dernières années pour tenter de faire entendre aux marketeurs qu'ils se trompent en basant leurs décisions sur l'analyser des attentes, des besoins, des critères de décision, des attitudes et des intentions d'achat des consommateurs. En effet, selon certains spécialistes (Fiona Cameron, Gerald Zaltman, Tjaco Walvis, Neale Martin pour ne citer que les publications les plus marquantes en la matière de ces 5 dernières années), un certain nombre d'avancées en neurosciences tenteraient à montrer que ce qui guide l'immense majorité de nos comportements, y compris dans le cadre de situations d'achats, relève de
l'inconscient ...
C'est ainsi que 95% de nos décisions sont prises sans raisonnement conscient. D'après des chercheurs, cela proviendrait du fait que notre cerveau se réserverait pour les décisions vraiment importantes ou nécessitant la prise en compte de paramètres complexes (par exemple des décisions impliquant un groupe, comportant un risque important, requièrent une forte implication ou devant être prises pour la première fois). Acheter un dentifrice ne rentrerait bien entendu pas dans cette catégorie. Au passage, qui sait avec certitude quelle est la marque de son dentifrice ? Notre subconscient nous guide donc dans 95% des cas. Il est d'ailleurs beaucoup plus performant que notre conscience, car il peut traiter en parallèle de multiples flux de données, alors qu'un raisonnement conscient implique un traitement très séquentiel de l'information et beaucoup plus lent.
La force du subconscient et la fainéantise naturelle de notre cerveau font que nous privilégions les actions par
habitude. Des études ont montré que 45% de nos comportements quotidiens sont répétés au même endroit.
C'est ainsi que lorsqu'on applique au marketing ces observations, on en arrive aux conclusions suivantes :
- il ne sert à rien d'écouter ses clients ; ils ne savent pas ce qu'ils font, ils ne savent pas pourquoi ils le font, et ils ne peuvent pas prédire ce qu'ils feront ...
- il ne sert à rien de vouloir solliciter l'attention de ses clients, mais il serait beaucoup plus productif de tenter de s'insérer dans leurs habitudes ...
D'ailleurs ces conclusions, aussi brutales qu'elles puissent paraître, ne sont pas si bouleversantes que cela : ne dit-on pas qu'il est 10 fois plus facile de fidéliser un client que d'en conquérir un nouveau ? Et pourquoi cela à votre avis ? Ne serait-ce pas parce qu'un client qui a ses habitudes ne consent que très difficilement à les changer ? ... D'autres études ont montré qu'un client qui a déjà acheté le même produit 8 fois, aura 97% de chance de le racheter une neuvième fois.
Dans le même ordre d'idée, celle qui dit qu'un client ne se pose pas forcément les bonnes questions pour raisonner ses achats, on peut arriver à se dire qu'il ne fait pas bon questionner ses clients. En effet, le simple fait de lui poser des questions ("tout c'est bien passé ?", "vous-êtes content de la qualité du produit ?") pourrait déclencher en lui une véritable prise de conscience et en final remettre en cause ses choix, ce qui ne se serait probablement pas produit en l'absence de questions ...
Ne pas écouter ses clients
Ils ne savent donc pas ce qu'ils veulent, ou en tout cas, ils ne savent pas l'exprimer puisque leurs choix sont majoritairement guidés par des processus inconscients. Comme moi, vous vous dîtes que ce fait est probablement vrai pour des achats de type remplissage de caddie dans un supermarché, mais certainement pas pour des achats plus complexes. Et bien, il faut que nous acceptions tout de même, vous et moi, que lorsqu'un raisonnement conscient est déclenché, il subsiste encore une part non négligeable d'inconscient.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle de nombreuses grandes marques ont préféré depuis quelques années
observer leurs clients plutôt que de les questionner. On peut citer ici les observateurs de chez Nike qui décortiquent les comportements de grands sportifs à l'entraînement, ou ceux de chez Swiffer qui ont compris, par observation de centaines de laveurs de sols, qu'il était plus efficace de capturer la poussière plutôt que de la déplacer. D'ailleurs de nombreuses techniques d'étude des comportements ont vu le jour plus ou moins récemment (observation in-situ, datamining, analyse conjointe, technique des métaphores).
Il convient donc d'accepter qu'un certain nombre de décisions ne soient pas nécessairement logiques, et que plutôt d'essayer de comprendre "pourquoi", il est sans doute plus intéressant d'essayer de comprendre "comment".
Tenter de s'insérer dans les habitudes de ses clients
Lorsqu'on a intégré le fait que les clients les plus fidèles sont ceux qui renouvellent leur achat sans réfléchir, on en arrive rapidement à ne pas vouloir les surprendre ! Et en poussant ce raisonnement un peu plus loin, on en arrive à des préconisations plus ou moins surprenantes :
- il faut à tout prix faciliter les décisions de ses clients : pas de gammes complexes, pas de produits trop similaires, pas de noms compliqués et changeants, pas de variantes d'un ancien modèle plus ou moins différenciantes qui pourraient inciter le client à comparer avec d'autres marques.
- il faut que le prix ne soit pas un paramètre qui pose question : pas d'incohérences dans votre politique (produits pas chers et services exorbitants ...), pas de mélange des genres (gamme luxe et gamme premier prix), pas de coûts masqués.
- il faut réfléchir avant d'améliorer son offre : pas d'"inventions" qui induiraient un mode d'utilisation radicalement différent, pas de petit plus qui demanderaient à l'utilisateur de tester alors qu'il achetait les yeux fermés.
Bref, il serait donc préférable de ne pas déroger aux habitudes de ses clients mais au contraire d'insinuer en eux un phénomène de répétition.
En conclusion, d'après cette approche marketing qui fait la part belle aux habitudes, il est important de doser avec soin différenciation et innovation avec constance et simplicité. Les premiers ne sont pas des armes à manipuler en permanence au risque de déstabiliser ses clients, de les inciter à comparer vos solutions avec celles de la concurrence, à remettre en cause les raisons inconscientes d'une décision d'achat. Et les seconds favorisent la fidélisation en respectant le processus de répétition du subconscient.
"Innover pour conquérir, respecter les habitudes pour fidéliser" pourrait être la leçon de cette réflexion.