Je m'étais déjà interrogé il y a quelque temps sur l'intérêt (ou pas !) de l'écoute client (le poids des habitudes) comme base de sa stratégie marketing. J'irai cette fois-ci plus loin en m'interrogeant sur l'intérêt de satisfaire (ou pas !) ses clients. Ou plus exactement, je souhaiterais apporter des éléments de réflexion au sujet de la volonté de dorloter ses clients à tout prix. Est-il donc si louable que cela de vouloir plaire à ses clients ? Les satisfaire est-il le seul moyen de les convaincre que vous êtes le meilleur ? N'y a-t-il pas d'autres solutions pour séduire ses clients ?
Cela parait pourtant évident de vouloir satisfaire ses clients pour les conserver, et se doter aussi d'arguments de choc pour en conquérir de nouveaux. Oui mais voilà, c'est à peu près ce que tout le monde fait ... La satisfaction client, telle que pratiquée depuis longtemps maintenant, mise au centre des préoccupations (ou en tout cas affichée comme telle ...) de toute entreprise, n'est absolument plus une arme efficace puisqu'à la disposition de tout le monde. Ce n'est plus un avantage concurrentiel suffisant ! Ce n'est plus différentiant ...
Stephen Brown, pape du marketing aux Etats-Unis et trublion en la matière, s'est longuement exprimé à ce sujet dans son ouvrage daté de 2004 Série Limitée (qui est d'ailleurs en rupture de série en France ...), et plus récemment Vineet Nayar dans Les employés d'abord, les clients ensuite. L'un prône la désorientation du client et l'autre son repositionnement vis-à-vis des relations particulières qui se nouent avec vos employés.
1. Lâchez leur la grappe !
Adopter une stratégie de satisfaction du client n'est peut-être pas la bonne tactique, ne serait-ce parce qu'elle n'aboutit qu'à une overdose de messages du type "je vous ai compris !" qui finissent par lasser les consommateurs. Tout le monde comprend tout le monde et tout le monde agace tout le monde ... N'oublions pas que nous sommes au coeur d'une ère de l'individualisme qui véhicule le comportement du "Vous ne pouvez pas si bien me comprendre puisque je suis un être unique et revendique mes particularités". Comme le dit si bien Stephen Brown : arrêtons de souffler dans la nuque des consommateurs !
2. Ne sur-vendez pas !
Ces mêmes consommateurs ont pris l'habitude de chercher les failles dans nos messages publicitaires. Un produit que l'on promeut de façon trop ostentatoire devient vite suspect :"pourquoi dépensent-ils autant d'argent pour me convaincre si ce produit est si bien que cela ? ...", "pourquoi mettent-ils en avant cet argument ? Qu'essayent-ils de masquer d'autre ?", "Je vois bien que ce message est une attaque directe vers tel ou tel concurrent. Justement quels autres atouts possède ce concurrent ? ..."
Ne conviendrait-il pas plutôt de flatter ses clients en leur disant qu'ils sont beaucoup trop futés pour qu'on puisse se permettre de les berner ?
3. Faîtes-vous désirer !
Donald Trump dans son best-seller de 1987 The art of the Deal expliquait que se faire désirer était devenu pour lui l'arme fatale en matière de négociation commerciale : "Notre stratégie marketing était simple : nous faire désirer. Une technique commerciale inversée. Si vous êtes assis dans un bureau avec un contrat à la main, impatient de signer la première affaire qui se présente, les gens se disent que les appartements ne sont pas très recherchés. Jamais nous n'avons été pressés de signer un contrat. Lorsque les gens venaient, nous leur faisions visiter l'appartement témoin, et puis nous nous asseyions et bavardions, et s'ils étaient intéressés, nous leur expliquions qu'il y avait une liste d'attente pour les plus beaux appartements. Plus les appartements semblaient intouchables, plus les gens les voulaient."
De nombreuses études ont montré que plus les choses se font rares, ou montrent d'une façon ou d'une autre qu'elles peuvent un jour faire l'objet de pénurie, plus elles sont attirantes.
4. Sachez vous limiter !
Un des paradoxes du marketeur réside dans le fait qu'il fait tout pour qu'un maximum de consommateurs achète son produit, en sachant pertinemment que ces mêmes consommateurs finiront par se détourner de ce produit lorsqu'il sera trop acheté, trop utilisé, trop banalisé ... Et oui, bien souvent les gens aiment posséder quelque chose que les autres n'ont pas. Il faut donc savoir créer une certaine forme de rareté, tout en vendant suffisamment pour vivre bien. N'est-ce pas là l'un des ingrédients savamment utilisé par Apple qui s'empresse d'annoncer les (faibles) quantités disponibles, à l'occasion de la sortie de ses nouveaux produits ? N'est-ce pas le dire quasi unique que les fans de la marque retiennent au moment de ces lancements merveilleusement bien orchestrés ?
5. Manipulez avec dextérité le marketing du marketing !
Comme dit précédemment, les consommateurs ont appris à lire entre les lignes. Ils sont devenus suspicieux. Et bien justement, donnons-leur un os à ronger à ce sujet : mettons en avant notre logique marketing et donnons la leur à déchiffrer ! Faisons en sorte finalement qu'ils se rappellent plus de notre démarche marketing, de nos slogans, de nos images, que de notre offre. Mais faisons-le intelligemment si possible : faisons en sorte que les consommateurs relient les 2 dans leur subconscient, la stratégie marketing et le produit. Un exemple à suivre dans ce sens est sans doute celui de Budweiser et de son célèbre cri "Wassup ?" (quoi de neuf ?) qui a défrayé la chronique des mois et des mois, sinon des années, mais auquel il manquait sans doute cette touche de clairvoyance et de roublardise qui en aurait fait un véritable apôtre de la marque et non simplement un phénomène de mode au final déconnecté du produit qu'il avait voulu accompagner.
6. Osez l'extravagance, l'excès, voir la grossièreté !
Savoir aller trop loin est un atout que l'on peut parfois se permettre pour amplifier le marketing un peu sage et politiquement correct qu'il convient d'adopter dans la majorité des cas. N'est-ce pas Monsieur Benetton ? (même si je sais que ce dernier se défendra de n'avoir jamais été grossier). En poussant ce raisonnement à l'extrême , le but est bien ici d'aller jusqu'à se faire interdire et ainsi de retourner à l'étape 3. "Faîtes-vous désirer !". Ne désire-t-on pas avant tout ce qui est interdit ? ...
7. Trouvez-vous un ennemi juré !
Les gens adorent les combats, les confrontations, les histoires de gentils et de méchants (certains préfèreraient même parfois que les méchants puissent gagner plus souvent ...). Donnez donc leur l'occasion de se réjouir de ces batailles. Trouvez-vous un ennemi auquel on pourra vous comparer. Trouvez-vous votre Pepsi, votre Quick ou votre concurrent chinois ... Vos clients adoreront faire un choix, et la presse adorera narrer vos combats !
8. Cultivez une certaine part de mystère, voir de magie !
N'expliquez pas tout. Ne justifiez pas tout. Une certaine catégorie de consommateurs achètent aussi par curiosité, pour découvrir, rencontrer le mystérieux ... Rappelez-vous de Coca-Cola et du culte de leur recette secrète, des produits cosmétiques et de leurs secrets de jeunesse et de beauté, de l'industrie pharmaceutique et para-pharmaceutique avec leurs principes actifs mais néanmoins emprunts du mystère hérité de nos grands-mères ou des guérisseurs de l'ancien temps ou d'autres civilisations ... Et que dire du marché des consultants qui ont tous la recette magique pour mieux faire fonctionner votre société que vous-même ne pouvez le faire ? (au passage j'en profite pour vous rappeler que cette composante mystérieuse, ne doit être qu'une composante et ne pas constituer la totalité de votre offre. Cela va sans dire pour un consultant, mais parfois les choses qui valent sans dire, sont plus claires après avoir été dites ...)
9. Oubliez le point 3. (faites-vous désirer !) et remplacez le par "Séduisez !"
Je vous engage à ce sujet à lire le livre de Guy Kawasaki, l'Art de l'enchantement qui nous enseigne qu'il faut éveiller le désir, puis installer le trouble et finir par créer le plaisir. Ce à quoi Stephen Brown rajoute : "renforcez l'effet et donnez l'estocade finale !". Vos clients adoreront vous courir après, surtout après que vous les ayez fait attendre un peu. Au passage remplacez les traditionnelles techniques de chouchoutage, de choyage et de câlinage par des techniques d'enjôlage, d'ensorcelage, d'embrouillage, voir de taquinage, d'aguichage et de charmage ... Adoptez une attitude de flirt plus que de copinage. Ne vous faîtes plus simplement des amis, mais flirtez et draguez ! (et je vous assure que je ne joue pas ici la carte du point 6. ...)
10. Allez à contre courant !
Moi qui prône souvent l'analyse des tendances pour pouvoir innover efficacement, je me trouve ici fort marri au moment d'aborder ce 10ème point. Je dois en effet rejoindre quelques partisans de la technique du contre-pied. Quoi de plus efficace pour se faire remarquer que de nager à contre courant ? Faîtes donc l'opposé de ce que tous vos concurrents font. La tendance est au modernisme ? Surfez sur la vague du rétro et du rococo ... La mode est aux couleurs pastels ? Utilisez donc des couleurs vives ... La technologie permet une miniaturisation à l'extrême ? Concevez des objets qui occupent plus de place et qui seront par conséquent plus visibles ...
11. Passez des 4, 6, 8 ou même 10-P aux 12-D !
Le marketing s'est appuyé depuis des décennies sur la règle des 4-P (Product, Price, Place, Promotion), auxquels sont venus au fil du temps et des illuminations des uns et des autres s'en greffer d'autres (voir mon article Et si votre succès se résumait en 23 mots seulement ? ...). Stephen Brown nous propose d'oublier tous ces P, et de les remplacer par des D :
Dédaigner les consommateurs accroit leur Désir
Dénigrer les consommateurs accroit leur Détermination
Déposséder les consommateurs accroit leur Désespoir
Différer la consommation des consommateurs les rend Dingues
Délivrer les produits ou les services inspire de la Dévotion
Désobéir Désoriente
Très bon article,
RépondreSupprimerCependant, comment positionner l'évolution dans tout ça, exemple: pour se faire désirer il faut du temps (être patient, ne pas se presser), or la technologie n'attend pas, le besoin en investissement et RSI est souvent supérieur au besoin de vivre "correctement". So comment faire?
Merci pour votre appréciation et commentaire
RépondreSupprimerVous nous alertez sur un sujet épineux. Celui du temps nécessaire à la réalisation des résultats de toute stratégie marketing. Il est bien évident que les "pistes" que j'évoque ici ne sont sans doute pas à mettre entre toutes les mains, mais probablement plus appropriées pour les entreprises qui s'en donneront les moyens et qui sauront en particulier être patientes ...